D e m a i n

Il est 8:30. Du haut de l’escalier encore un peu obscur, ce sont les interminables et délicieux : “je t’aime”, “bonne journée”. I love you. On écoute bien les consignes et surtout, amuse-toi bien avec tes amis. Je t’aime mon amour, soyez prudents à vélo, bonne journée. Je viens te chercher tantôt à la garderie. Oui, j’ai une grosse journée. Toi ? On mange quoi pour le souper ? Oui, on va aller au parc ma chérie. Amuse-toi bien. As-tu les mitaines ? Les pantalons de rechange ?
Ok. Bye. Bye.
Bye.
Je vous aime.
Comme chaque matin. Je les regarde partir. La porte se referme. Je savoure ce moment assise dans le haut de l’escalier encore dans mes vêtements de la nuit, ma robe de chambre. Les cheveux de lit.
Mon déjeuner à moitié entamé. Des céréales rendues molles. Ou du pain froid. Peu importe.
Des fois, j’ouvre grand, je passe ma tête par la fenêtre du salon et j’attends qu’ils passent pour leur dire un dernier Aurevoir. Envoyer un dernier bisous soufflé. Voir son petit sourire à croquer. Son minois enfoui dans son chapeau de laine surmonté de son gigantesque casque de vélo rose.
Elle sourit, elle a vu sa maman par la fenêtre.
L’amoureux est pressé et fier. Fier d’être son papa. Heureux d’avoir une femme qui le salue encore une petite fois du haut de son arbre et qui n’a pas peur de crier je t’aime. Les voisins peuvent se moquer.
ON S’AIME.
Je les regarde partir en priant l’univers de les revoir bientôt, qu’ils soient en sécurité, que rien ne leur arrive.
Jamais.
Rien, sauf la douceur de nos câlins, de nos longues étreintes matinales et nocturnes parfois, rien que notre amour candide et doux.
Les revoir bientôt, mais pas trop vite.
Mes 2 amours sont partis.
L’appartement est vide. C’est le silence. Le roi silence. Le calme. Rien que moi. Rien que pour moi.
Enfin.
Seule pour la journée. Une toute petite journée riquiqui.
Moi et ma liste de tâches. Ma TO DO.
Je souffle.
Je vais pouvoir laver mon visage, enfiler ma crème. Regarder mes rides et ma repousse de cheveux de Maman. Pas trop de gris j’espère. Peigner ma tignasse de lit. À quoi bon. Ce n’est que moi aujourd’hui.
Suis-je encore jolie ?
C’est calme ici.
Et pourtant, je suis perdue. Comment je vais prendre soin de moi aujourd’hui. Par quoi vais-je commencer. Vais-je terminer quelque chose ?
J’ai du travail. Une entreprise. Un 2e emploi. Du bénévolat.
Seulement 8.5 heures pour être tout ça.
J’écouterais Netflix. Toute la journée. Love is blind, moi et le grand ciel de ma fenêtre. En attendant l’heure du retour.
16:00. C’est dans pas longtemps.
Peigner mes cheveux, enfiler ma crème. Rester dans mes vêtements de lit toute la journée.
Non, j’enfile un autre jogging. Celui-là est beaucoup plus beau et n’a pas passé la nuit au lit.
Je regarde la liste. Je remercie cet instant. Juste cet instant quand la porte se referme. Et que j’observe le contraste entre la présence de ce joyeux chaos, et celui de ma solitude. De mon être tout entier. La plénitude éphémère qui règne dans cet instant suspendu pour quelques petites minutes.
Je prends une énorme respiration et je regarde à nouveau la liste.
Mes céréales sont molles.
J’ai du travail.
Le moment est passé. Je ne prendrai pas soin de moi aujourd’hui.
Demain.
Chaque matin, ça recommence. Sauf le samedi, sauf le dimanche.
Ces journées-là, je vis moins de contraste. Je reste collée.
Depuis que je suis devenue Maman, je comprends mieux mes rythmes. Et pourtant, j’ai rarement l’occasion de les honorer.
Je sais que l’arrivée de la maternité dans ma vie m’a aidée à comprendre la manière dont j’arrive à me recharger.
Et ironiquement, les moments où je peux faire pause avec lenteur sont aussi beaucoup plus rares.
Contempler, les yeux dans le vide, à regarder passer le jour vers la nuit, le regard dans les couleurs n’arrivent plus tant souvent.
À quand remonte mon dernier coucher de soleil ?
J’adore cette lenteur. J’en prendrais durant des semaines de ce rythme à moi.
Contempler longuement.
Me recharger
Penser à ma vie.
Penser à mes amours. Les retrouver.
Ces journées sont minuscules et presque ricaneuses.
Demain.
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